Sa mère, Saphia Azzeddine

Pourquoi cette lecture ?

Par chance, j’ai entendu parler de ce roman dans une émission télévisée. Le chroniqueur m’a semblé très agressif ; c’est ce qui m’a donné envie d’entreprendre la lecture de Sa mère. Pour me faire mon propre avis. La violence des propos de ce monsieur m’a choquée, et m’a encore plus interpellée à la lecture, puisque pour moi, ce roman mérite des éloges et des recommandations.

« Et le pire, c’est que je ne relativise pas. Il y a plus malheureux que moi, c’est leur problème. Par contre, il y a une seule manière d’être mal aimé et c’est de ne pas l’être. »

Autour de l’amour maternel

« Une naissance pareille, quelle humiliation. Je m’en serais foutue, moi, de ne pas partir avec les mêmes chances dans la vie ; ce que j’aurais voulu, c’est partir avec elle. Qu’elle me choisisse, qu’elle m’aime n’importe comment, j’aurais voulu être son erreur, son boulet, j’aurais préféré être tout ça à la fois, m’en plaindre mais dans ses bras. Je l’aurais aimée à la rage, à la fureur, je l’aurais aimée de toute mon âme, de tous mes os, je l’aurais fumée d’amour, cette mère, si elle m’avait serrée contre elle comme dans une camisole de force, j’aurais voulu étouffer dans ses bras, sur ses seins, mourir d’amour sur elle, contre elle, mourir sereinement plutôt que de vivre grossièrement. À cause d’elle, je fais partie des statistiques qui montent puis baissent puis montent puis baissent, je fais partie des cas qu’on examine, des sujets qu’on traite, des lois qu’on vote, je suis un thème de choix pour les auteurs, un parcours intéressant pour les cinéastes qui abusent des questions sociales pour aller chercher un grand prix. Je fais la une des magazines de psychologie et quand cette salope tombe sur moi dans le sommaire, elle se détourne plutôt vers l’actrice en couverture et trouve qu’elle a pris un coup de vieux. J’aurais voulu tout faire pour ne pas lui ressembler en vieillissant, être dévastée de me reconnaître au fil du temps dans ses gestes, me battre contre ses minauderies qui deviendraient les miennes, j’aurais voulu être la fille qui part en lui claquant la porte au nez et revenir en l’ouvrant sans frapper. Parce qu’une mère, une bonne mère ne fait pas tout bien, elle fait plein de conneries, nous refile ses névroses et ses anévrismes, ses varices et ses pieds déformés mais elle laisse toujours la porte pas totalement fermée. »

Dans La Grande Librairie, émission littéraire

Saphia Azzeddine

Quelques extraits

« En sortant de ce pourrissoir, je n’ai pas caché ma joie. Pourtant j’aurais dû. Ça se fait vis-à-vis des copines de cellule. Je le regrette à présent mais je n’ai pas pensé à elles. J’ai souri à pleines dents à l’idée de ne plus entendre le cri agressif du verrou. Des verrous. Il y en avait neuf jusqu’au trottoir où l’on m’a plantée avec un risque sur deux de récidiver et un sur trois de me convertir à l’islam. Elle était là, mon assistante sociale, encore elle, la mine réjouie et l’accolade sincère. »

Elle m’a regardée droit dans les yeux et m’a dit : « Le plaisir se ramasse, la joie se cueille et le bonheur se cultive. »

« Tout le monde se plaint du temps qui passe trop vite. Je ne vois pas pourquoi. Le temps passe exactement comme il doit le faire, c’est la manière dont on l’utilise qui le rend filant ou stagnant. En taule par exemple, vous n’entendrez jamais quelqu’un dire ça. Ni un obèse qui se met au sport. Le temps s’écoule, nous accélérons, nous ralentissons mais il reste honnête et ne comprend pas qu’on fasse de lui un enculé. J’ai passé vingt-huit ans à chercher ma mère et à peine quelques jours à la sauver, à la perdre puis à l’aimer. Dans cet ordre-là. »