Samedi 25 janvier dernier, l’association Deux-Temps ! installée à la Menuiserie, rue de la Monderie, à Vire, a de nouveau proposé une escapade vers l’exposition collective présentée à la Maison des Arts de Bagneux. Encore une fois, j’ai eu l’immense chance de faire partie du voyage, qui nous réservait quelques surprises…
« Tous les artistes que vous allez rencontrer sont des obsessionnels. »
Accueillis dans la structure privatisée pour l’occasion, par Anne, créatrice de la revue Hey!, et Nathalie Pradel, commissaire de la Maison des Arts, nous avons bénéficié des connaissances partagées par les 2 spécialistes.
Ici, la photographie est prise dans la salle du rez-de-chaussée, présentant les tableaux de Mina Mond, une artiste française au parcours tout à fait spécifique. Née avec une maladie congénitale au niveau du cœur, elle a appris à vivre avec la mort. Très singulière, elle explore toutes les croyances anciennes ou contemporaines, observe le monde et en raconte sa vision face à des faits d’actualité, tout en restant très ouverte à l’invisible et au mystique.
« La particularité de Mina est qu’elle ne fait aucun dessin préparatoire.
Elle avance dans sa toile comme un scan. » Nathalie Pradel
L’artiste peint en musique, selon des sons et des fréquences lui permettant d’avancer. Tout est raccord, ce qui signifie qu’elle a tout en tête ; elle ne peut pas commencer une toile si elle n’a pas la vision parfaite de ce qu’elle souhaite, car elle n’improvise pas. Chaque tableau raconte une histoire, comme celui qui traite de la nature, de l’écologie et de ce que l’on en fait aujourd’hui, avec des portraits de Greta Thunberg et de Jair Bolsonaro. Entre les deux, une figure centrale, présente sur toutes les toiles, représente une déesse ambivalente, mêlant le bien et le mal. Dans le bas, l’avenir de la terre, avec toutefois un peu d’espoir car elle y a peint des racines, malgré les couleurs mornes.
« Mina se destinait à devenir pasteur. Profondément croyante, mais ni catholique ni chrétienne, elle a vite compris que la peinture était le medium qui allait lui permettre de dialoguer, au quotidien, avec le divin. Elle travaille tout le temps, a besoin de raconter des histoires et d’expliquer comment fonctionne le vivant, donc le divin. Mina vit dans la campagne strasbourgeoise. Mais elle pourrait vivre n’importe où, pourvu qu’elle soit reliée à la nature. Elle ressemble beaucoup à ses peintures, très flamboyante. » Anne de Hey!
Comme l’explique ensuite Nathalie devant une autre de ses toiles, il s’agit d’une représentation de la jungle de Calais. En haut, une déesse à 3 visages représente le passé, le présent et l’avenir. Tout est tourné dans le même sens, ce qui signifie que la situation est bloquée. Une représentation de la France, avec le coq et la Marianne, côtoie Saint-Georges et le lion, c’est-à-dire l’Angleterre. Des gens fuient, des drames surviennent, des morts sont laissés pour compte et en bas, on constate que l’espoir est mitigé. Il s’agit peut-être de la toile la plus pessimiste de l’exposition.
Mina pratique le tarot, des cartes de tarot se retrouvent dans ses toiles. L’une d’entre elles parle de la vie à la frontière du Mexique, un endroit dans lequel les jeunes filles disparaissent. Les femmes pleurent leurs filles et plantent des croix dans les villages. Au-delà du discours politique et mensonger, personne ne fait rien. Les femmes sont muselées, les narco-trafiquants ne donnent pas de réponse, la divinité centrale est autant adorée par les femmes et les familles, en tant que consolatrice, que par les narco-trafiquants, toujours dans cette ambivalence déjà évoquée. Les fleurs symbolisent l’espoir et la renaissance, dans cette histoire très tragique.
Les couleurs chez Mina Mond
Les toiles sont composées de 3 couleurs : le fond est noir, puis l’artiste pose les ors, et après, elle peint avec du bleu, des ocres, du rouge et du blanc. Sauf dans l’une des toiles, qui représente son ascension, peinte sur du papier kraft, très datée, qui représente une photographie de son présent en même temps que son parcours.
Nils Bertho, artiste et musicien
Il vient du monde du jeu vidéo et de la bande dessinée. Toutes ses toiles proposent du mix-média, avec Rotring, Posca, marqueur peinture à base d’eau, acrylique et gouache. Comme l’explique Anne, « il raconte toujours ses batailles d’enfance, fait renaître ses jouets favoris, des héros de bande dessinée qu’il adorait, les transforme en jouets dans sa tête et les fait prendre part à des batailles épiques. Il a même créé un jeu, sur la toile. C’est quelqu’un qui joue énormément aux jeux vidéo, donc l’idée est de retrouver dans son travail le dialogue, avec tous ces médias d’entertainment de l’après jeune génération. Sur les côtés de la toile, chaque fois qu’il crée, il marque toutes ses idées pour ne rien oublier. Quelquefois il entend, donc il inscrit aussi les sons dans ses toiles ».
Paul Toupet, l’artiste du totem
La spécificité de cet artiste français est de travailler sur un totem sacré, qu’il a découvert très jeune, à l’âge de 8 ans, le lapin. Il a commencé à fabriquer, à mettre de petites choses dans des boîtes. Assez vite, il est passé à l’échelle 1/1 et est devenu sculpteur. Sans formation, il travaille avec du papier mâché. Il ne fait que cela, il crée son propre monde, dont il est le Dieu. Souvent, il expose des installations, par exemple avec son gisant, donc son enterrement.
Il faut imaginer, à la base, une structure de bois, puis du papier mâché, et ensuite un travail d’enduit, d’acrylique et de vernis. Paul travaille aussi le tissu, le cuir et la cire d’abeille. Nous avons vu certaines de ses sculptures les plus récentes, ainsi que d’autres, extraites d’une autre série datant d’une dizaine d’années environ. Excellent dessinateur, il reste toutefois un sculpteur, donc il dessine sur ses sculptures. Devant « Le Petit pénitent », Anne nous indique que cet artiste non croyant est fasciné par l’imaginaire que la foi peut enclencher.
« Quelquefois les choses les plus simples sont aussi les plus vraies, les plus justes, les plus honnêtes, celles qui communiquent le mieux. » Anne
Très important au sujet de Paul Toupet, il a eu une enfance très heureuse. Issu d’une famille très soudée, dans une fratrie de 4, il sculpte les enfants comme une émanation de sa propre enfance, de la façon dont il voit la vie, mais c’est toujours quelque chose de léger, d’innocent et d’heureux. D’ailleurs, à son âge de 40 ans aujourd’hui, il apparaît comme une espèce d’ange, léger et doux. Toujours dans la cour de récréation…
Les femmes de l’étage
Adèle Bessy, âgée de 70 ans maintenant, est une grande peintre affiliée aux outsiders, aux singuliers de l’art. Son histoire très particulière reste intimement liée à celle de sa mère, qui était peintre. Ainsi, Adèle a participé à des ateliers de peinture, mais non académique, avec des amis de sa mère. Puis sa mère s’est suicidée. Adèle ne sait pas mettre de mots sur son ressenti, mais ce déclencheur a fait qu’elle a commencé à peindre, de façon inconsciente. Elle entend des voix et voit des choses, et elle retranscrit, de façon totalement spontanée et improvisée, ce qu’elle entend, comme la mémoire du monde. Du monde byzantin aux fresques mérovingiennes, Adèle semble parfois peindre l’histoire, et en fait pas du tout. L’artiste ne fait que peindre ce qu’elle voit, dans la retranscription obsessionnelle d’un univers invisible.
Puis Christelle Lenci, dessinatrice française d’une cinquantaine d’années, a commencé à travaillé dans l’édition, en tant qu’illustratrice de livres pour les enfants. Rapidement, elle s’est sentie frustrée, car elle ne pouvait pas laisser libre cours à son dessin. Donc, en parallèle de son activité, par fascination, elle est allée étudier de nombreux documents autour de Jack L’éventreur. Ainsi, elle a commencé à travailler sur les victimes du tueur en série, dans un quasi devoir de mémoire. Depuis, elle s’est éloignée de ce sujet qui n’a été qu’un révélateur et, en ne faisant plus que ce qu’elle décide de faire, elle a remarqué que ses travaux comptaient comme unique point commun le sujet féminin. Sans féminisme aucun.
Enfin, Coralie Barbier, artiste française également, considère que toutes les formes du vivant dialoguent entre elles. Comme medias, elle utilise le découpage, la gravure et le trou. Elle troue à l’aiguille, certains de ses dessins sont réalisés uniquement avec cette technique.